Kinshasa, 18 février 2025. L’Université de Kinshasa a accueilli une conférence de haut niveau consacrée à la crise des droits humains à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En présence de la Ministre des Droits Humains, Maître Chantal Chambu Mwavita, et de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire, Marie-Thérèse Sombo, ainsi que de représentants des Nations unies, d’universitaires et d’experts en droits humains, l’événement a permis de faire le point sur la situation dramatique qui sévit dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. La thématique centrale a été la récente résolution adoptée le 7 février par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, qui attribue au Rwanda et aux rebelles du M23 la responsabilité de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire dans l’est de la RDC. Cette conférence visait à analyser le contenu de cette résolution historique, à dénoncer fermement les exactions commises et à formuler des recommandations pour mettre fin à la violence et à l’impunité.
Contexte et acteurs présents
La réunion s’inscrit dans un contexte d’escalade des conflits à l’Est de la RDC. Depuis la fin de l’année 2024 et le début de 2025, la situation sécuritaire dans les Kivus s’est fortement détériorée du fait de l’offensive des rebelles du M23, un mouvement armé majoritairement tutsi, accusé d’être soutenu militairement par le Rwanda. Les hostilités ont provoqué des déplacements massifs de population, des centaines de civils tués ou blessés et une crise humanitaire sans précédent.
Face à ces développements alarmants, le gouvernement congolais a sollicité l’appui des instances internationales. C’est dans ce cadre que le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a tenu, à la demande de la RDC et avec le soutien de nombreux États, une session extraordinaire le 7 février 2025 pour examiner la situation.
La conférence organisée à l’Université de Kinshasa réunit ainsi les acteurs clés pour aborder ces enjeux : des membres du gouvernement, des représentants de l’ONU (dont des délégués de la MONUSCO et du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme), des professeurs de droit et de sciences politiques de l’UNIKIN, ainsi que des défenseurs des droits humains issus de la société civile.
Dès l’ouverture, les intervenants ont souligné l’importance de la mobilisation de tous – autorités nationales, communauté internationale et chercheurs – pour documenter les abus, porter assistance aux populations en détresse et œuvrer à une solution durable. L’initiative de tenir cette conférence en milieu universitaire vise aussi à impliquer le monde académique dans l’analyse du conflit et la formation d’une nouvelle génération sensibilisée aux droits humains, a expliqué la ministre de l’ESU, Mme Sombo, dans son allocution de bienvenue. La présence conjointe de deux ministres reflète la volonté du gouvernement congolais de lier les actions politiques et la réflexion scientifique pour répondre à la crise dans l’Est.
Une résolution onusienne historique pointant le Rwanda et le M23
Le point d’orgue de la conférence a porté sur l’examen de la résolution adoptée le 7 février par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Ce texte, approuvé à l’unanimité des États membres du Conseil lors de sa 37e session extraordinaire, constitue une avancée majeure selon les participants. Il condamne fermement l’offensive du M23 et le soutien militaire du Rwanda à ce groupe armé, considérés comme une menace grave pour la population civile et une violation flagrante du droit international.
La résolution demande explicitement au M23 et aux autorités rwandaises « de mettre immédiatement fin aux violations des droits de l’Homme et aux atteintes au droit international humanitaire » dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, et exige le retrait sans conditions des combattants du M23 ainsi que des troupes rwandaises opérant illicitement en RDC.
Ce document onusien détaille en effet une série d’exactions attribuées à la rébellion du M23 et à ses alliés, documentées ces derniers mois par les Nations unies et diverses ONG. Parmi les abus cités figurent des exécutions sommaires de civils, des viols et violences sexuelles systématiques – y compris le viol de masse de détenues lors de l’attaque de la prison de Goma –, le recrutement forcé d’enfants soldats, des attaques délibérées contre des infrastructures civiles (hôpitaux bombardés, écoles détruites) et des assassinats de défenseurs des droits humains et de journalistes.
Ces agissements constituent de graves violations des droits humains et pourraient s’assimiler à des crimes de guerre, ont rappelé les experts juridiques durant la conférence. La résolution du 7 février, saluée comme « historique » par plusieurs orateurs, entérine la responsabilité du M23 et de ses soutiens rwandais dans ces atrocités – une reconnaissance internationale que la RDC réclamait de longue date.
En outre, le Conseil des droits de l’Homme a décidé dans cette résolution la création d’une mission internationale indépendante d’enquête chargée de faire la lumière sur l’ensemble des violations commises dans l’est du Congo depuis le début de la résurgence du M23 (soit depuis au moins 2022).
Cette commission d’enquête devra rassembler des preuves, identifier les responsables de ces abus et formuler des recommandations en vue de poursuites judiciaires. Son rapport est attendu lors de la prochaine session du Conseil et sera également transmis à l’Assemblée générale de l’ONU. Les participants à la conférence de Kinshasa ont souligné que cette quête de vérité et de justice est cruciale pour les victimes. « C’est un signal fort que plus aucune atrocité ne restera impunie dans l’est du Congo, et que la communauté internationale est prête à appuyer nos efforts de justice », a commenté un expert congolais des droits humains présent dans l’auditoire.
Les messages forts de la Ministre des Droits Humains
Au cœur de l’événement, le discours de la Ministre des Droits Humains, Me Chantal Chambu Mwavita, a porté une vive charge contre les auteurs des exactions et a réaffirmé l’engagement de Kinshasa à combattre l’impunité. D’une voix ferme, la ministre a dénoncé les atrocités perpétrées dans l’est du pays, qualifiant les massacres de civils, les viols de masse et les déplacements forcés de « viols de l’âme de la nation congolaise ». Elle a rappelé que la population du Nord-Kivu et du Sud-Kivu endure « une tragédie humanitaire inacceptable » et que ces souffrances résultent en grande partie des agissements du M23 et du soutien extérieur dont ce mouvement bénéficie. « Le peuple congolais ne peut plus tolérer que ses bourreaux échappent à la justice, quelle que soit leur identité ou leur parrain », a-t-elle martelé en faisant clairement allusion au Rwanda.
Mme Chantal a salué la prise de position de l’ONU à travers la résolution du 7 février, y voyant « une reconnaissance officielle de la réalité que nous vivons sur le terrain ». Selon elle, le fait que le Conseil des droits de l’Homme nomme explicitement le Rwanda comme acteur impliqué dans les violences en RDC constitue « un tournant diplomatique majeur » susceptible de faire bouger les lignes.
Elle a assuré que le gouvernement congolais coopérera pleinement avec la mission d’enquête internationale déployée par l’ONU, en facilitant son accès aux zones concernées et la collecte de témoignages. « Nous mettrons tout en œuvre pour que la vérité éclate et pour que les responsabilités soient établies sans failles », a-t-elle promis.
Surtout, la Ministre des Droits Humains a réaffirmé l’engagement de l’État congolais à lutter contre l’impunité. Elle a souligné que la justice sera poursuivie « jusqu’au plus haut niveau », indiquant que « ni les criminels de guerre du M23, ni leurs commanditaires, où qu’ils se trouvent, ne sauraient échapper au jugement ». Dans cette optique, Mme Chantal a évoqué le renforcement des poursuites judiciaires nationales contre les combattants capturés du M23 et la collaboration avec les mécanismes internationaux. Elle n’a pas exclu la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) si nécessaire, rappelant que les crimes de guerre et crimes contre l’humanité ne connaissent pas de frontières. Son message s’est aligné sur celui de nombreux pays lors de la session onusienne, à savoir que « l’impunité alimente les cycles de violence » et que « les responsables doivent répondre de leurs actes devant la justice ».
La ministre a par ailleurs interpellé la communauté internationale pour un soutien accru. Elle a exhorté les pays voisins et partenaires à faire pression sur Kigali afin que celui-ci cesse tout soutien aux groupes armés déstabilisant la RDC. « Nous appelons nos frères rwandais à entendre la voix de la raison et de la légalité internationales. L’heure est à la fin de la duplicité : on ne peut proclamer la paix d’un côté et alimenter la guerre de l’autre », a-t-elle déclaré, en invitant le Rwanda à respecter les engagements pris dans le cadre des processus de paix régionaux de Nairobi et de Luanda. En conclusion de son intervention, Mme Chantal a rendu hommage au courage des victimes et des activistes des droits humains sur le terrain, promettant de « porter leur voix dans toutes les instances, nationales comme internationales, pour que justice leur soit rendue ». Ses propos, vigoureux et empreints d’émotion, ont été accueillis par une salve d’applaudissements de l’assistance.
Analyses des experts et universitaires présents
Plusieurs experts des droits humains, professeurs et représentants d’organisations internationales ont ensuite pris la parole pour analyser la situation et réagir aux déclarations du gouvernement. Tous ont abondé dans le sens d’une urgence à agir face à ce qu’un universitaire a décrit comme « l’une des pires crises humanitaires et sécuritaires de ces dernières décennies en Afrique centrale ».
Du côté académique, un professeur de droit international de l’UNIKIN a replacé la crise actuelle dans la perspective des conflits récurrents à l’est du Congo depuis plus de deux décennies. Selon lui, la particularité de cette résolution de 2025 est qu’elle « nomme un État tiers, le Rwanda, comme partie prenante aux violations », ce qui est relativement rare dans les textes du Conseil des droits de l’Homme. « C’est la première fois que le Conseil désigne aussi clairement un voisin de la RDC pour son rôle néfaste : cette pression internationale explicite était nécessaire », a-t-il analysé, estimant que cette stigmatisation officielle du soutien rwandais pourrait avoir un effet dissuasif à l’avenir. En revanche, l’expert a souligné que « disposer de preuves accablantes ne suffit pas, encore faut-il que des mécanismes judiciaires efficaces les exploitent ». Il a donc insisté sur la nécessité d’un suivi rigoureux des recommandations de la mission onusienne et d’une collaboration judiciaire régionale pour traduire en justice les chefs du M23 et éventuellement toute personne impliquée, même au sein de l’armée rwandaise si les faits sont avérés. Son collègue politologue a quant à lui évoqué les dimensions politiques et économiques du conflit, rappelant que « la question de l’exploitation illégale des ressources du Congo nourrit la violence : mettre fin aux pillages miniers transfrontaliers est indispensable pour tarir les financements des groupes armés ». Cette analyse rejoint celle formulée par certaines délégations étrangères lors de la session onusienne, qui ont pointé « les intérêts économiques ne devraient jamais primer sur la dignité humaine » et appelé à des sanctions contre les trafiquants de minerais de sang.
Les représentants de la société civile congolaise ont apporté à la discussion la voix des populations locales. Un activiste originaire de Rutshuru (Nord-Kivu) a livré un témoignage poignant sur les souffrances endurées par les civils depuis l’offensive du M23 : « Des familles entières dorment à la belle étoile, des femmes violées n’ont pas accès aux soins appropriés, et la peur est permanente », a-t-il déclaré. Il a imploré les autorités de sécuriser les zones libérées et d’améliorer l’assistance dans les camps de déplacés où les conditions de vie restent extrêmement précaires. Plusieurs intervenants ont aussi mis en garde contre d’éventuelles « négociations de paix bâclées qui sacrifieraient la justice sur l’autel de la stabilité illusoire ». Une chercheuse en droits humains a rappelé les précédents accords de paix dans la région qui avaient permis l’intégration de chefs de guerre au sein de l’armée sans poursuites judiciaires : « Chaque fois que l’on a choisi d’absoudre les responsables de massacres, on a planté les graines d’un nouveau conflit. Cette fois, nous devons rompre ce cycle », a-t-elle affirmé, soulignant le caractère non négociable de la lutte contre l’impunité.
Recommandations pour mettre fin aux exactions et protéger les populations
À l’issue des échanges, un consensus s’est dégagé sur plusieurs recommandations clés pour traduire les constats en actions concrètes et mieux protéger les populations affectées :
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Application immédiate de la résolution de l’ONU : Les participants exhortent à la mise en œuvre rapide des dispositions de la résolution du 7 février. Cela inclut le déploiement effectif de la mission d’enquête internationale dans les plus brefs délais, avec toutes les ressources nécessaires pour accomplir son mandat. Il est impératif que le M23 et le Rwanda se conforment sans tarder aux injonctions de l’ONU en cessant toute violence et en permettant un accès humanitaire sans entrave aux zones de conflit.
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Renforcement de la justice et de la lutte contre l’impunité : Le gouvernement congolais est appelé à poursuivre et intensifier les poursuites judiciaires contre tous les auteurs de crimes dans l’est du pays. Cela implique d’assurer des procès équitables pour les combattants du M23 déjà capturés et de préparer des actes d’accusation contre les dirigeants du mouvement identifiés comme responsables des atrocités. La coopération avec la CPI ou d’autres tribunaux internationaux pourrait être envisagée pour poursuivre les crimes les plus graves. Parallèlement, il est recommandé de protéger et encourager les témoins et victimes à témoigner, afin de solidifier les dossiers. Aucun acteur, étatique ou non étatique, ne doit bénéficier de l’impunité, sans quoi le cycle de violence perdurera.
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Pression diplomatique et sanctions ciblées : Sur le plan international, la conférence préconise une intensification des pressions diplomatiques sur le Rwanda pour le contraindre à cesser tout soutien au M23. Les États de la région des Grands Lacs, l’Union africaine et les Nations unies sont invités à multiplier les démarches en ce sens. Des sanctions ciblées (gel d’avoirs, interdictions de voyage) pourraient être envisagées contre les hauts responsables militaires ou civils impliqués dans le soutien aux rebelles. De même, les entreprises et individus profitant du commerce illicite des ressources naturelles alimentant le conflit doivent faire l’objet d’enquêtes et de sanctions, conformément aux appels de certaines ONG.
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Protection des civils et aide humanitaire : Afin de mettre fin aux exactions sur le terrain, il est nécessaire de renforcer la protection des populations. Les forces de sécurité congolaises, avec le soutien logistique de la MONUSCO et éventuellement de la Force régionale de l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) encore déployée, doivent reprendre le contrôle des zones clés et sécuriser les localités libérées du joug du M23. Un accent particulier doit être mis sur la protection des groupes vulnérables : femmes, enfants, déplacés, défenseurs des droits humains et journalistes. Les participants recommandent d’établir des corridors humanitaires sécurisés pour permettre l’évacuation des civils en danger et l’acheminement de l’aide dans des zones jusqu’ici coupées du monde. Les hôpitaux, camps de déplacés et écoles doivent bénéficier d’une surveillance accrue pour éviter qu’ils ne soient à nouveau pris pour cibles.
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Assistance aux victimes et réhabilitation : Enfin, la conférence insiste sur l’importance d’apporter un soutien multiforme aux survivants des violences. Sur le plan médical et psychologique, il est recommandé de renforcer les programmes de prise en charge des victimes de violences sexuelles et des traumatismes de guerre. Sur le plan socio-économique, des projets de réinsertion et de compensation devraient être mis en place pour les personnes déplacées et les communautés dévastées par le conflit. Le gouvernement est encouragé à mobiliser le Fonds national de réparation pour les victimes de violences sexuelles liées aux conflits (FONAREV) afin d’indemniser les survivantes, et à collaborer avec les partenaires internationaux pour financer la reconstruction des infrastructures détruites (centres de santé, écoles, habitations). Ces mesures visent non seulement à soulager les souffrances immédiates, mais aussi à recréer un tissu social résilient dans ces régions meurtries.
Que peut-on retenir ?
La conférence tenue à l’Université de Kinshasa le 18 février 2025 a mis en lumière une convergence inédite entre les autorités congolaises, les experts et la communauté internationale pour faire face aux atrocités commises dans l’est de la RDC. L’intensité des échanges et la clarté des recommandations traduisent une volonté commune de traduire les paroles en actes. Comme l’a résumé un participant, « le temps de l’impunité touche à sa fin, et celui de la justice commence ». Reste à transformer cet élan en actions concrètes sur le terrain. Le gouvernement congolais a désormais le soutien affiché de l’ONU et de nombreux partenaires pour exiger des comptes aux agresseurs et protéger sa population. Les semaines et mois à venir seront décisifs pour vérifier si ces engagements aboutiront à des changements tangibles pour les habitants du Kivu, qui aspirent depuis trop longtemps à la paix et à la sécurité. L’espoir suscité par la résolution internationale et les promesses renouvelées de lutte contre l’impunité ne devra pas décevoir : il en va de la crédibilité des institutions et, surtout, de la dignité des millions de vies en jeu. Les regards sont tournés vers l’Est du Congo, avec l’espoir qu’enfin se profile la fin du calvaire et le début d’une paix durable, fondée sur la justice et le respect des droits humains.